Dénoncer la corruption ne suffit pas
En début de semaine, lors de l’Assemblée nationale clôturant la première session de l’année législative, le président du Sénat, Joseph Lambert, a tiré à boulets rouges sur la corruption endémique qui gangrène nos administrations. Lambert a invité l’Etat haïtien à dépenser dans la transparence les deniers publics. Sans langue de bois, le parlementaire avait aussi dénoncé la classe des affaires qui, dit-il, traque des profits exorbitants et s’adonne impunément à la contrebande et à la fraude fiscale. Le discours de Joseph Lambert passe inaperçu dans l’opinion publique. Pourquoi ?
Au cours de la même semaine, soit mercredi, c’est un membre du secteur privé, Daniel Gérard Rouzier, qui a dénoncé la corruption qui prive l’Etat des ressources pour investir dans les services de base. Il a même publiquement exhorté ses pairs du secteur privé à s’engager sans équivoque à « rendre à César ce qui est à César » en s’acquittant honnêtement et totalement de leurs redevances fiscales. Qui parmi les concernés suivra les conseils de Daniel Rouzier ? Attendons voir.
Avant Gérard Rouzier et Joseph Lambert, le chef de la délégation de l’Union européenne en Haïti, l’ambassadeur Vincent Degert, à la cérémonie officielle de la fête de l’Europe le 9 mai en cours, a félicité le président Jovenel Moïse pour son engagement à lutter contre la corruption. Il a cependant rappelé qu’au-delà des mots, des stratégies et des plans d’actions, les mises en examen, les inculpations et condamnations doivent faire partie d’un arsenal crédible et dissuasif dans la lutte contre la corruption. Il n’y a encore aucune réaction de l’exécutif sur les propos de l’ambassadeur de l’Union européenne. L’ancienne responsable de la MINUJUSTH, Suzanne D. Page, avait eu un traitement différent lorsqu’elle avait, dans une note de presse, félicité les autorités haïtiennes pour avoir nommé un juge pour instruire le dossier PetroCaribe.
La corruption est devenue tellement populaire, qu’elle fait l’objet d’un spot publicitaire des deux plus hautes autorités du pays. Dans ce spot qui tourne sur les médias électroniques et les réseaux sociaux, le président Jovenel Moïse et le Premier ministre Jack Guy Lafontant vantent les résultats déjà obtenus dans la lutte contre la corruption. Y a-t-il un baromètre, une mesure permettant aux citoyens de vérifier le bilan des autorités politiques ? Les hôpitaux publics offrent-ils de meilleurs soins ? Le fonctionnement des écoles publiques est-il amélioré ? Les fonds publics sont-ils dépensés dans la transparence ? Ceux qui sont accusés de détourner les deniers publics sont-ils poursuivis par la justice ? Peut-on s’attendre à un procès historique sur le détournement du fonds PetroCaribe ?
En attendant que ces questions reçoivent des réponses, on doit admettre qu’il y a de plus en plus de voix qui s’élèvent contre la corruption qui prend le développement du pays en otage. Le seul problème, ceux qui bénéficient du phénomène se font passer pour des victimes. Dans ce concert anti-corruption, il y a la voix de ceux qui ont dilapidé le fonds PetroCaribe, il y a celle des parlementaires qui, sans titre ni qualité, gèrent des fonds publics. On les trouve dans la construction de commissariats, de routes et d’autres infrastructures publiques au grand dam des maires et ASEC et CASEC. Il y a aussi la voix des responsables de l’exécutif qui protègent ceux qui ont pillé le fonds PetroCaribe et qui empêchent la justice de faire son travail. On entend aussi dans ce concert la voix des membres du secteur privé qui ne versent pas à l’Etat ce qui lui revient. C’est bien dommage pour la lutte contre la corruption.
Jean Pharès Jérôme/Le Nouvelliste